En dépit du confinement qui contraint les Français à rester chez eux depuis le 17 mars, le gouvernement les appelle, par le biais d’une consultation publique, à se prononcer sur « l’obligation d’instauration d’une zone à faibles émissions mobilité ». Une décision scandaleuse compte tenu du contexte !Mardi 17 mars, midi, un décret confine les Français pour limiter la propagation du coronavirus. Lundi 23 mars, une consultation publique est discrètement lancée par le ministère de la Transition écologique et solidaire sur un « projet de décret relatif au non-respect de manière régulière des normes de la qualité de l’air donnant lieu à une obligation d’instauration d’une zone à faibles émissions mobilité ».
Un moment plus que mal choisiSi le principe même de la consultation publique n’est pas en cause — elle découle de l’article « L. 123-19-1 du Code de l’environnement pour la mise en œuvre du principe de participation du public aux décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » —, le calendrier est particulièrement mal choisi ! À l’heure où les Français vivent une crise sanitaire et un confinement sans précédent, le moment est-il bienvenu pour les interroger sur le durcissement des restrictions de circulation ?
L’association 40 Millions d’automobilistes dénonce « l’indécence d’une telle consultation visant à profiter d’une situation dramatique pour instaurer de nouvelles contraintes aux usagers de la route ». La Fédération française des motards en colère, de son côté, déplore « une consultation passée sous silence dans un flot d’informations consacrées à la pire crise sanitaire que l’Europe ait connu depuis un siècle. (...) Le gouvernement entend aujourd’hui passer en force, en catimini, en ce moment si difficile, pour contraindre les élus à imposer les ZFE ».
Porte ouverte à la fracture socialeTout l’objet du décret sur lequel on consulte les Français aujourd’hui vise à étendre le domaine des ex-ZCR (Zones de circulation restreinte), rebaptisées, depuis la Loi d’orientation des mobilités (LOM) Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Derrière l’habile glissement sémantique qui a éliminé le terme négatif de « restriction » et a rajouté celui de « mobilité » se cache une seule et même réalité : l’interdiction de circuler faite à certains véhicules, identifiés par leur vignette Crit’Air, jugés trop polluants.
Depuis longtemps, la FFMC dénonce « les fractures sociales liées aux mobilités ». En clair, les ménages les moins aisés, ceux qui ne peuvent renouveler leur ancien véhicule au profit d’un modèle considéré comme moins polluant, sont évidemment les plus impactés par cette mesure.
Contre la fronde des mairesC’est précisément pour éviter cette fracture sociale que de nombreuses communes de la Métropole du Grand Paris ont renoncé à restreindre la circulation de leurs administrés. Et c’est précisément pour aller à l’encontre de cette « fronde » de certains maires que le ministère de l’Environnement a pondu ce fameux décret sur lequel on vous consulte aujourd’hui et jusqu’au 13 avril.
Il rendra « obligatoire l’instauration, au 31 décembre 2020, d’une zone à faibles émissions mobilité ». Ainsi les ZFE-m s’imposeront sur le territoire de votre commune si celle-ci fait partie d’une agglomération où les valeurs limites de dioxyde d’azote (NO2) ou de particules fines PM10 et PM2,5 ne sont pas respectées au moins 3 années sur les 5 dernières. Il ne sera pas possible non plus de couper à la ZFE-m si les transports terrestres sont reconnus « comme étant à l’origine d’une part prépondérante des dépassements de valeurs limites, soit lorsque les transports terrestres sont la première source des émissions polluantes, soit lorsque les lieux concernés par le dépassement sont situés majoritairement à proximité des voies de circulation routière ».
Vers la fin du véhicule personnel bouc émissaire ?La crise sanitaire et le confinement que nous vivons actuellement posent bien des questions sur cette tentative de passage en force du gouvernement qui dépouille les maires de leur pouvoir de décision en matière de restriction de circulation. Comme l’explique la FFMC : « Les maires n’ont plus le choix : désormais, la ZFE sera obligatoire en fonction de certains critères ».
Sans contester la part (et seulement la part) de responsabilité des transports dans la pollution de l’air, pouvait-on choisir pire moment pour durcir les restrictions de circulation. Alors que l’épidémie de coronavirus rappelle « l’impérieuse nécessité de la possession d’un véhicule pour assurer les besoins personnels », comme le note 40 Millions d’automobilistes, pense-t-on réellement que les Français, privés de leur « vieux » véhicule, s’engouffreront sereinement dans les transports en commun bondés à l’heure du déconfinement ? Peu probable.
Il n’y a pas que les voitures qui polluent !Enfin, la diminution drastique de la circulation automobile depuis le confinement, n’a malheureusement pas empêché les… pics de pollution ! L’épandage d’engrais agricoles et le chauffage au bois résidentiel sont pointés du doigt.
Selon une étude du Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique), citée par nos confrères de Caradisiac, la combustion de bois domestique est responsable, notamment, de 39 % des émissions de particules fines. Enfin, Futura planète, croit savoir que ces « pollutions, au gré des conditions météorologiques, peuvent tout à fait nous arriver d’ailleurs. De la Pologne, par exemple - grâce à des vents orientés nord-est ce samedi (28 mars) -, qui continue de brûler beaucoup de charbon pour se chauffer et produire de l’électricité ».
ÉlectoralismeAinsi, si la question de la qualité de l’air apparaît encore plus cruciale à l’heure de l’épidémie de coronavirus et de ses dramatiques atteintes pulmonaires, il est grand temps pour les politiques d’apporter une réponse adaptée aux enjeux de santé publique soulevés. Tant qu’ils n’auront pas intégré que la pollution de l’air est un phénomène global, qu’aucune frontière ne saurait contenir, et que ses origines sont multiples, il sera difficile d’en réduire la sinistralité.
Croire qu’il suffit, pour résoudre ce problème, de mettre les Parisiens au vélo et d’interdire à certaines l’usage de leur « véhicule personnel polluant » est, au mieux, de l’électoralisme, au pire de l’inconscience.